BREST –
MENTON
LA DIAGONALE HISTORIQUE EN TANDEM
15 AOÛT 2005 AU 19 AOÛT 2005
FRANCINE & ALAIN
SCHAUBER
Préambule
En 1930 fut accomplie ce qui est
considéré aujourd'hui comme la toute première
Diagonale de France. Même si l'appellation n'était pas
encore instituée, même s'il n'était
évidemment pas encore question d'homologation au sens actuel du
terme, le "raid Brest-Menton" comme l'appelaient alors ses
protagonistes Georges Grillot et Roger Coiffier était
indéniablement une Diagonale, au sens moderne du terme:
itinéraire libre, délai (5 jours) fixé à
l'avance, autonomie, rencontres avec des amis au courant de la
randonnée et enfin compte rendu dans "Le
Cycliste". La lecture
de ce compte rendu de l'époque, par Grillot, frappe d'ailleurs
par les étonnantes analogies, à 75 ans de distance, de
cette aventure diagonaliste avec toutes celles qui l'ont suivie
jusqu'à nos jours.
Grillot et Coiffier accomplirent leur raid du 16 au 21 avril 1930, en
utilisant un tandem. En 1932, le couple Oudart, également en
tandem, échoua à Avignon à cause de conditions
météorologiques défavorables. Puis il fallut
attendre 1935 pour que Louis Cointepas réédite cette
Diagonale, en solitaire. Entre-temps, les Diagonales étaient
nées puisque dès 1933 chacune des neuf Diagonales avait
été effectuée au moins une fois.
Francine et moi avons donc eu l'idée de profiter du
soixante-quinzième anniversaire de cette Diagonale "historique"
et de l'acquisition récente d'un tandem pour accomplir en 2005
Brest-Menton en suivant exactement l'itinéraire de Grillot et
Coiffier, dont la particularité était, au prix d'une
centaine de kilomètres de plus que la distance officielle
actuelle, de profiter au maximum des vallées pour contourner les
massifs montagneux et ainsi tirer le meilleur parti possible des
possibilités de cet "engin multiple".
Nous sommes donc partis le 22 avril 2005 sur l'itinéraire exact
(à une trentaine de kilomètres près en Bretagne
pour cause de route interdite aux vélos) de nos
précurseurs… et avons arrêté à
mi-parcours, précisément à Moulins où nous
avons pris conscience que les routes empruntées en 1930, et en
particulier la N7, n'étaient plus praticables sur toute leur
longueur à n'importe quelle heure. Le dimanche 24 avril dans
l'après-midi, le chassé-croisé des vacanciers de
Pâques entre Saint-Pierre-Le-Moûtier et Moulins nous a fait
vraiment peur et, encore sous le choc du décès
récent de Daniel Merlet (le 20 avril), nous avons
décidé d'arrêter à Moulins et sommes
tranquillement rentrés chez nous.
Cet arrêt dicté par la raison n'était pas un
abandon et encore moins un échec, et rapidement s'est
imposée dans nos esprits la nécessité de retenter
cette Diagonale la même année, d'autant plus que nous
avions pu mesurer la fiabilité et l'efficacité de notre
tandem et que nous connaissions déjà la moitié du
parcours! Nous avons donc décidé de repartir à la
mi-août, en modifiant juste assez l'itinéraire historique
pour éviter les routes à grande circulation, tout en
passant par le plus grand nombre possible des lieux cités par
Grillot dans son compte rendu et en respectant l'esprit de leur choix
d'itinéraire, à savoir le louvoiement par les
vallées. De fait, si l'on traçait à la fois
l'itinéraire de 1930 et le nôtre sur une carte de France,
ils se superposeraient presque parfaitement, les différences
essentielles se situant souvent au niveau des rives empruntées
le long des cours d'eau. De plus la longueur totale (plus de 1500 km)
est elle aussi respectée, ainsi que le découpage des
étapes.
Pour ce compte rendu un peu
particulier, nous avons
choisi de juxtaposer notre récit avec des extraits de celui de
nos précurseurs, afin d'en souligner les fortes analogies et
aussi les différences, essentiellement dues aux conditions de
circulation différentes. De plus, beaucoup des réflexions
faites par ces précurseurs traduisent exactement ce que nous
avons ressenti ou vécu aux mêmes endroits. Nous avons
également souhaité évoquer quelques souvenirs de
notre tentative avortée d'avril.
Et enfin, petit clin d'œil à l'Histoire et preuve de la
continuité de l'esprit des Diagonales depuis 1930, nous avons
voulu citer quelques extraits du compte rendu de Cointepas en 1935
(dont l'itinéraire fut le même que celui de Grillot et
Coiffier à partir de Tours), ainsi que de celui de Dominique
Désir, qui a accompli Brest-Menton en 1980 à l'occasion,
lui, du cinquantenaire de cette première Diagonale. A cette
occasion, Louis Cointepas lui fit l'honneur, 45 ans après sa
propre Diagonale, de l'accompagner sur quelques kilomètres.
Dominique nous a fait le même honneur et plaisir sur notre
Diagonale, 25 ans après la sienne. La chaîne de
l'amitié diagonalistique dans le temps, qui prolonge celle qu'on
lui connaît déjà dans l'espace…
Dans la suite, notre compte rendu d'août est rédigé
avec une police normale; en police plus petite et en italique, nous
l'illustrons avec des extraits de ceux de Grillot/Coiffier en 1930
(1930), de Louis Cointepas en 1935 (1935) et de Dominique Désir
en 1980 (1980). Nous insérons également quelques
évocations de notre tentative d'avril (Avril 2005).
L'itinéraire
général de cette Diagonale
est conforme à celui de Grillot et Coiffier (ci-contre,
manuscrit de Grillot): de Brest à Nantes en longeant la N 65,
qui est maintenant interdite aux vélos; puis de Nantes à
Tours par la vallée de la Loire, et de Tours à Vierzon
par la vallée du Cher; de Vierzon à Roanne,
l'itinéraire ondule jusqu'à la vallée de l'Allier,
puis rejoint la vallée de la Loire.
Pour rejoindre ensuite la vallée du
Rhône, la N7 est incontournable et franchit le col du Pin
Bouchain. La route suit ensuite le Rhône jusqu'à Avignon,
puis rejoint la vallée de l'Argens qui mène à
Fréjus.
Après franchissement de l'Estérel, il ne reste plus
qu'à suivre la Côte dite d'Azur…
En réalité, Grillot et Coiffier n'ont
pas tout à fait suivi leur "feuille de route" initiale. Ils sont
partis à 6h du matin, ont passé la première nuit
sur le vélo et ont fait la première étape à
Vierzon. Le troisième jour ils se sont arrêtés
à Roanne, le quatrième à Maillane au sud
d'Avignon, et ils ont passé la dernière nuit sur le
vélo pour arriver au matin à Menton, réalisant
ainsi cette Diagonale en 121 heures environ.
Nous aussi sommes partis à 6h le 15 août, avons fait
étape à Nantes, Vierzon, Roanne et Avignon, pour
rejoindre Menton dans la nuit du 19 au 20 août (fin du
délai à 2h du matin).
Lundi 15 août : Brest – Nantes (306 km – 2560 m de dénivelée)
A 6h09, le policier de service nous
donne le feu vert pour le départ de cette deuxième
tentative. Nous sommes sereins, car le vent de nord-ouest est
favorable, il fait beau et l'aube point déjà lorsque nous
passons sur le pont Albert Louppe. Lorque nous atteignons le Faou pour
poster la carte départ, il fait très frais (7°C) mais
le soleil se lève.
Peu à peu nous nous réchauffons et nous progressons
rapidement dans le "saute-moutons" qui nous mène à
Quimper, aidés par le vent.
(Avril 2005) Lors de notre première tentative, nous étions partis le 22 avril à 3h30 et nous avions tenu à passer par Landerneau. En effet, aucun autre pont sur l'Elorn n'existait à Brest en 1930, et nos précurseurs devaient faire ce détour. Dès la sortie de Guipavas, la pluie avait commencé, et ne s'était interrompue qu'à Pontchâteau. Le jour ne s'était vraiment levé que peu avant Quimper et nous avions fait une erreur de parcours à Châteaulin…
(1930)
Lundi 14 avril – La pluie n'a cessé de la nuit et arrose
toujours la bonne ville de Brest que nous allons quitter avec un
plaisir non contenu. Nous savons ce qui nous attend: le mauvais temps
jusqu'aux confins du Finistère, peut-être
même plus loin, aussi la consigne du bord est-elle de liquider la
Bretagne dans le plus bref délai.
Un peu avant six heures, le tandem est sorti du garage, tandis que nous
endossons notre tenue de mauvais temps. Je me souviendrai longtemps de
ce départ de Brest, au petit jour blême, sous la pluie
glaciale, à travers les pavés luisants et les rails des
tramways.
(1935) Jeudi 16 mai – Je pars de Brest à 6 heures, sous le crachin. Je sais, par expérience, que j'en ai pour toute la Bretagne et qu'à Brest il pleut 300 jours par an. Peu importe, puisque le moral est à bloc, en songeant au soleil qui m'attend là-bas, à Menton.
(1980) Jeudi 14 août – La nuit était douce, le vent de sud-ouest, perpendiculaire, le moral au beau fixe.
A Quimper, nous avons rendez-vous avec André Dauphin, dont la maison est sur notre route. Mais comme nous avons déjà une bonne avance, il n'est pas là pour nous guetter et nous loupons la maison. Un petit coup de portable, et André nous rattrape une dizaine de kilomètres après Quimper avec son camping-car. Une petite photo, quelques mots d'encouragement et c'est déjà reparti!
(Avril 2005) A Quimper, nous avions été attendus au café à l'entrée de la ville par Roger Lavolé, son épouse et André Dauphin. Le cafetier nous avait servi à toute vitesse des boissons chaudes et des viennoiseries, tandis que Mme Lavolé nous fourrait dans la sacoche tout un lot de crêpes maison. Quel accueil efficace et chaleureux!
A midi nous sommes à Quimperlé, où une crêperie nous tend les bras. Nous y mangeons avec appétit un excellent repas roboratif. Nous repartons ensuite via Pont-Scorff jusqu'à Hennebont où nous contrôlons dans un café.
(Avril 2005) Nous nous étions brièvement arrêtés à Quimperlé pour grignoter quelques sucreries à l'abri d'un petit toit. La pluie continuait de tomber, heureusement pas trop froide. A la sortie de la ville, Emile Le Roux nous attendait et nous avait conduits via Lorient jusqu'à Hennebont, où nous avions déjeuné et contrôlé.
(1930) Quelques kilomètres avant Quimperlé, après un ravitaillement à Quimper et un relais de direction à Rosporden, nous essuyons un ouragan de grêle d'une violence inouïe. En cent mètres, le tandem est arrêté et abandonné à son triste sort, pendant que nous allons nous abriter sous des broussailles, de l'autre côté de la route. Nous sommes à Quimperlé (140 km) à 12h15. Nous déjeunons là en vitesse pendant que la pluie tombe sans arrêt.
Nous rejoignons Vannes en passant par Sainte-Anne-d'Auray. Dans ce charmant village a lieu une messe en plein air, dont nous entendons les échos en passant: c'est le 15 août, après tout!
Cette partie de l'itinéraire est vraiment charmante, les villages fleuris alternent avec les croix en pierre et les vallons ombragés.
(Avril 2005) Nous étions passés par Auray comme Grillot et Coiffier…
(1930) A 15h30, nous arrivons à Auray (200 km). Nous avons effectué cette distance en 9h30 ce qui constitue - sans fausse modestie - une performance honorable si l'on veut bien prendre la peine de considérer que depuis ce matin nous luttons contre le mauvais temps et que la route que nous parcourons est très accidentée.
A Vannes, le vent change d'orientation et se positionne au nord-nord-est. C'est la fin de l'état de grâce, mais l'avance d'une heure est déjà acquise et les haies nous protègent bien!
A la sortie de Theix, nous avons
la surprise d'être arrêtés par un monsieur au bord
de la route, que nous ne reconnaissons pas tout de suite. Mais si, il
s'agit de Jean-Paul Jacq et de son épouse à
côté de qui nous étions placés au
dîner diagonaliste de la SF d'Oloron! Leur fille aussi est
là et prend la photo… à laquelle se joint Henri
Terrillon, qui nous attendait aussi à cet endroit avec son
vélo!
(Avril 2005) A Vannes, nous étions bien fatigués et nous avions trouvé un peu d'abri et quelques calories au Mac Do… Nous avions une demi-heure de retard et nous avions aggravé ce retard en faisant une grosse erreur de parcours avant Theix.
La voie latérale de la N165
après Theix est peu fréquentée, et le temps passe
vite en compagnie de Henri Terrillon. Mais voilà qu'après
la Trinité-Surzur nous apercevons un groupe de trois cyclistes
qui vient à notre rencontre. Il s'agit de Josiane Lesné,
Daniel Ménager et Dominique Pelletreau qui sont venus nous
accompagner jusqu'à La Roche-Bernard! Et c'est un peloton de six
amicalistes qui roule maintenant vers l'est.
Nous continuons à longer la N165 (la N65 de Grillot et
Coiffier). Muzillac est bien vite traversée et nous faisons une
petite halte-photo devant la chapelle d'Arzal, où Mme Terrillon
est paraît-il venue ce matin brûler un cierge pour nous.
Puisse cette attention nous être favorable, même s'il
s'agissait en fait d'un canular de nos compagnons!
Enfin voilà La Roche-Bernard,
où nous décidons de ne pas nous arrêter, à
la grande déception de nos amis qui souhaitaient nous proposer
de prendre un verre au bar avant le pont avant de nous séparer.
Merci beaucoup, ce sera avec grand plaisir une autre fois, quand nous
aurons plus de temps!
Seul Henri nous accompagne encore jusqu'à Pontchâteau. Il
est 19h20, nous prenons un en-cas au snack et nous en profitons pour
contrôler, puis nous prenons congé de Henri et repartons
avec notre heure d'avance pour la dernière ligne droite
jusqu'à Nantes.
(Avril 2005) En avril déjà, Henri Terrillon, Josiane Lesné et Francis Swiderek avaient bravé la pluie et nous avaient accompagnés et soutenus jusqu'à la Roche-Bernard. Au bar avant le pont, nous étions en mauvais point et ils nous avaient remis d'aplomb avec des sandwiches. Nous étions repartis avec une heure et demie de retard, mais le moral était bon et il avait enfin cessé de pleuvoir.
(1930)
Sans nous arrêter, nous passons à Vannes, Muzillac et
arrivons au magnifique pont de la Roche-Bernard, le premier endroit
intéressant et agréable depuis le départ de Brest.
Malheureusement le temps trop noir nous empêche de prendre des
photos.
L'Hôtel de l'Espérance nous offre un dîner
pantagruélique qui est le bienvenu après une
journée pareille, mais en sortant pour aller jeter quelques
cartes à la poste, je suis saisi par un frisson extraordinaire,
m'obligeant à rentrer en claquant des dents. Le Raid va-t-il se
terminer à la Roche-Bernard? Voilà la question qui m'a
hanté quelques instants. Croyant à un retour intempestif
de ma grippe de la semaine dernière, je me couvre de mes deux
chandails, de mon imperméable, et je passe à
l'arrière du tandem lorsque nous repartons à 20h30
à la nuit tombante.
Le vent est toujours légèrement défavorable, mais il fait encore jour et il est 21h45 lorsque nous arrivons à l'hôtel Campanile de Saint-Herblain dans la banlieue de Nantes, avec une heure et demie d'avance sur notre horaire. La gérante se souvient de notre arrivée en avril, nous lui avions fait pitié! Une bonne nuit de sommeil nous attend, car le départ du lendemain n'est prévu qu'à 7h, après le petit déjeuner. Excellent pour le moral, tout ça! Qu'il est bon de profiter des conseils de Grillot (voir ci-dessous)!
(Avril 2005) Nous étions parvenus à l'hôtel une heure plus tard, alors que nous étions partis deux heures et demie plus tôt! Comme il avait recommencé à pleuvoir, nous avions littéralement inondé la chambre avec notre tandem-éponge. Et abrutis par la fatigue, nous n'avions pas entendu les deux réveils qui devaient nous tirer du lit à 4h30, et c'est un coup de fil de Josiane Lesné qui nous avait réveillés en sursaut à 7h30! Trois heures de retard au matin du deuxième jour, mais il ne pleuvait plus et nous étions bien reposés…
(1930)
A 23h30, nous entrons dans Nantes. Nous avons la déception de ne
pas trouver un seul café ouvert. Fermer à 23h, quelle
abomination. Messieurs, pour un bistrot ! Nous perdons un temps
précieux à chercher la gare où le buffet est
à même de nous restaurer. Nous y restons un bon moment,
trop bon même et nous sommes assez raides lorsqu'il faut
repartir, évoluer au milieu des pavés, des rails, des
rues obscures, pour trouver la route d'Angers.
La cadence est tout ce qu'il y a de lent. Je sens que le tandem
n'avance plus et décide qu'au premier endroit propice, nous nous
arrêterons pour nous reposer un peu.
Nous parcourons environ 25 kilomètres à petite allure,
quand un hangar se présente sur la droite. Nous y entrons et
nous mettons en demeure de dévorer une moitié de poulet
rôti achetée à la Roche-Bernard, des oranges, des
bananes, etc... Nous perdons là près de deux heures bien
inutilement.
Si j'avais à recommencer un raid de l'envergure de Brest-Menton
- que Dieu m'en préserve ! - je ne dépenserais pas
inutilement en roulant une nuit des forces susceptibles d'être
utilisées par la suite, et je suis persuadé que si
à Nantes nous nous étions arrêtés
carrément quatre heures, afin de dormir dans un lit, nous ne
serions pas arrivés plus tard le lendemain à Vierzon et
certainement moins fatigués. Mais, comme dans chaque branche de
l'activité humaine c'est à ses dépens que l'on
apprend à vivre, c'est en faisant Brest-Menton que l'on apprend
à faire Brest-Menton.
Mardi 16 août : Nantes – Vierzon (335 km – 1379 m de dénivelée)
Nous repartons de Nantes frais et dispos. La ville est longue à
traverser, mais grâce au plan qu'elle a sous les yeux, Francine
joue à merveille son rôle de copilote (tiens, voilà
une appellation à proposer pour l'équipier
arrière, le problème avait été posé
l'hiver dernier sur le Forum internet de l'Amicale
Cyclo-Tandémiste).
Le vent de nord-est nous ralentit un peu, et ne nous permet pas de rattraper la demi-heure perdue à traverser Nantes. Qu'importe, le retard ne s'accentue pas, c'est l'essentiel. Nous passons sur la rive gauche de la Loire, bien plus tranquille et pittoresque, à hauteur de Mauves-sur-Loire et nous goûtons beaucoup le charme de la route de Champtoceaux, puis de Mûrs-Érigné.
(Avril 2005) Nous avions pris la
route d'Angers par Ancenis. C'était un samedi et la circulation
était raisonnable, mais les paysages n'étaient pas
très attrayants et le restaurant à Champtocé avait
été décevant! Nous avions ainsi opté pour
la rive droite de la Loire et contourné Angers par les
Ponts-de-Cé.
(1930)
Le départ du "hangar fatal" a lieu pédestrement, parce
que nous sommes gelés et à moitié endormis.
Lorsque nous remontons sur le tandem l'allure n'est guère plus
vive qu'à la sortie de Nantes. Nous avons hâte de trouver
un café ouvert afin d'absorber un liquide chaud et de manger,
car le poulet rôti de la Roche-Bernard n'est plus qu'un vague
souvenir.
Peut-être à Varades, peut-être à
Champtocé - le livre de bord est muet et je n'avais pas de carte
- nous trouvons ce qu'il nous faut pour déjeuner copieusement,
avant d'affronter une succession de raidillons terribles qui doivent se
succéder jusqu'à Angers. Nous entrons dans cette ville
aux environs de 8 heures du matin, le mardi, c'est dire que nous avons
rampé depuis Nantes.
(1980) C'est à Champtoceaux que Dominique Désir fait sa première étape et coupe la Loire sans la suivre, après avoir traversé la Bretagne par la route du centre.
L'heure de déjeuner approche, mais le seul restaurant de Mûrs-Érigné est fermé pour congé annuel. Certes, Ponts-de-Cé n'est pas loin, mais faut-il faire le détour? Continuons! Heureusement, la chance nous sourit et nous tombons très vite sur un petit restaurant ouvrier dont l'évocation nous laisse encore médusés aujourd'hui: menu unique à 9,50 euros, vin et café compris. A peine assis, nous avons reçu l'entrée. Ensuite ont défilé à la même cadence le plat principal, le fromage, le dessert et le café. Tout cela en moins de trois quarts d'heure! Ça c'est du boulot!
Ainsi lestés, nous passons
Saumur sans nous arrêter et parvenons d'une traite à
Rivarennes, où nous devons contrôler. Là, une
surprise nous attend: Christian Videau et son épouse nous
attendent au bord de la route et nous tendent une canette
fraîche! Quel plaisir!
Une dame de 92 ans s'approche avec curiosité de notre tandem et
nous raconte qu'elle aussi faisait du tandem dans sa jeunesse! Dire
qu'elle aurait pu croiser nos héros de 1930! Quand elle apprend
ce que nous faisons, elle s'enthousiasme et nous encourage pour la
suite. Quelle halte vivifiante! Même le traiteur chez qui nous
allons tamponner nous adresse ses félicitations!
(Août 2005) Nous nous étions passablement ennuyés sur la rive droite de la Loire, bien moins jolie et variée que la gauche.
(1930)
La route longe le fleuve aux eaux jaunes et limoneuses, traverse
quelques villages : La Bohalle, St-Mathurin, Les Rosiers, qui
paraissent sommeiller comme cette triste Loire.
Douze kilomètres avant Saumur, un cycliste à l'horizon,
et quel cycliste : Jean Marx, qui a passé une nuit dans un train
pour venir nous accompagner. Ah! le brave ami! Si nous ne l'embrassons
pas, le coeur y est! Jean, c'est un type extraordinaire, toujours
décidé, que l'on parte à Villeneuve-St-Georges ou
au Mont-Blanc, à vélo, à tandem ou par le train.
Du moment que l'on quitte Paris, il est toujours de la fête,
même quand il s'agit de tentatives hasardeuses en haute montagne,
où l'on risque de se casser la figure. De nous savoir passer si
près de Paris tracassait ce brave ami, si bien qu'un jour, peu
avant le départ, il vint me trouver pour me dire : " J'irai vous
chercher sur les bords de la Loire." Ah! qu'il fait bon vivre,
entouré d'amis de cette trempe, presque des frères,
toujours prêts à rendre service, toujours d'humeur
égale, et qui vous font oublier les vilenies de ce monde.
Depuis l'arrivée de Jean, l'allure s'est nettement
accélérée et nous ne tardons pas à arriver
à Saumur, où nous déjeunons gaiement tous les
trois. Toutes les fatigues, tous les ennuis sont oubliés.
Longuement nous parlons des amis de Paris, quittés il y a
seulement trois jours, trois jours qui me paraissent trois mois !
Confortablement restaurés, nous repartons lentement sur les
bords de cette Loire, que je voudrais voir aux quatre cents diables.
Autant j'aime ce fleuve dans sa haute vallée, autant il
m'indiffère ici, coulant sans force, d'une façon
bébête, entre deux rives trop vertes.
Déjà nous arrivons
à Tours. Le vent est bien sensible maintenant, mais en
contrepartie il nous rafraîchit, car il fait assez chaud. La
ville est vite contournée par la rocade sud, et nous quittons la
vallée de la Loire pour emprunter celle du Cher. Après
Saint-Martin-le-Beau la route devient pittoresque et nous
décidons de prendre un repas du soir à Chenonceaux. Il
est 19h30 et les restaurants sont déjà remplis de
touristes. Nous déguerpissons rapidement du premier après
avoir attendu en vain un quart d'heure qu'on prenne notre commande, et
nous trouvons une pizzeria qui nous sert un délicieux plat de
pâtes maison. Le service est rapide une fois que nous avons
expliqué que nous avons encore de la route à faire.
A 20h30 nous enfilons nos baudriers et nous reprenons la route. A
Noyers-sur-Cher, il commence à faire nuit et le vent tombe un
peu. C'est sans encombres que nous parvenons peu avant 1h du matin au
Campanile de la sortie de Vierzon, non sans avoir joué encore un
peu du triple plateau juste avant la ville.
(Avril 2005) En conséquence de notre "panne de réveil" du matin, nous étions arrivés à Tours en soirée, et après un repas dans une cafétéria, nous avions fait toute la vallée du Cher de nuit, pour ne parvenir à Vierzon que vers 2h du matin. Nous avions décidé de conserver ce retard de trois heures et de le reporter sur la dernière journée, qui avait été prévue plus courte (Aix – Menton). Aussi le départ de Vierzon le 24 avril n'avait-il été effectué qu'à 7h30.
(1930)
Heureusement qu'à quelques kilomètres de là nous
rencontrons un cyclotouriste en train de réparer lui aussi.
C'est Géo Bimbenet, l'illustre randonneur, le concurrent
perpétuel à la Poly. Tout le monde le connaît, de
réputation au moins, et tout le monde sait qu'il est toujours
prêt à rendre service. C'est pourquoi, aujourd'hui, il est
venu de Contres à Tours pour nous retrouver. Nous dînons
à Montrichard et nous nous quittons au carrefour de la route de
Contres, non sans que Géo Bimbenet m'ait remis une fiole de
liquide, à boire, paraît-il, après le café,
ou en cas de coup de pompe!
Nous avons l'intention de nous arrêter ce soir à Vierzon,
quelques heures seulement, car nous n'avons pas dormi depuis Brest et
je sais par expérience que deux nuits consécutives sur la
route produisent de sérieuses perturbations dans la marche d'un
tandem. C'est la tactique employée d'ailleurs par les Audax
1.000 km, qui prévoient un arrêt de quatre heures au cours
de la deuxième nuit.
Il reste encore 70 kilomètres avant d'arriver à Vierzon,
malheureusement la route laisse à désirer et devient
épouvantable aux environs de Villefranche-sur-Cher. Il fait nuit
et par-dessus le marché Coiffier commence à dormir sur le
tandem.
J'ai passé entre Villefranche et Vierzon comme entre Nice et
Menton les moments les plus durs du raid, je dirai presque de ma vie de
cyclotouriste. Cahoté, désemparé, le tandem rampe
à dix à l'heure. Coiffier, à moitié
endormi, ne réagit plus, et si moi-même résiste au
sommeil, je suis las, presque à bout de forces. L'instant est
tragique. Je sens que si cela continue, nous allons verser dans un
fossé et Brest-Menton en restera là. A cette
pensée, mon sang ne fait qu'un tour et je me cramponne
résolument au guidon.
La marche à pied alterne avec le tandem. Elle réveille un
peu Coiffier, mais ne me délasse guère. Le sommeil
m'envahit petit à petit, je fume cigarette sur cigarette pour
tenter de le chasser, car il est certain que si je venais à
m'endormir à ce moment critique, le raid sombrerait à
jamais.
Nous franchissons deux passages à niveau fermés, à
peine signalés, sans que la situation ne change. La nuit est
d'un noir d'encre et la route est toujours aussi mauvaise. Soudain, une
dizaine de kilomètres environ avant Vierzon, le goudron
apparaît. J'absorbe en vitesse quelques gorgées de la
fiole de Bimbenet et nous repartons... pas pour longtemps... Je sens ma
tête tourner, la direction flotter, j'arrête
immédiatement le tandem. Cet étourdissement ne dure que
quelques minutes et semble provenir de la quantité de liquide
absorbé tout à l'heure. Coiffier qui, heureusement, a
récupéré, prend la direction et amène le
tandem à Vierzon, vers une heure et demie du matin.
Après avoir frappé à un ou deux hôtels,
devant la gare, j'en trouve heureusement un qui consent à nous
recevoir. A deux heures nous nous couchons, heureux d'être
arrivés. La première manche est gagnée, il s'agit
maintenant de bien profiter des cinq heures de repos
généreusement octroyées!
(1935) Je franchis la Loire à Tours, le vendredi 17 mai à 6h30: grande et belle Loire, je te reverrai toute petite à Roanne! Je roule dans une région plate et opulente, le Jardin de la France, agrémenté de nombreux châteaux historiques. Chenonceaux, 8h15, casse-croûte. je remonte la vallée du Cher, route facile gênée seulement par un léger vent de face. Une côte rompant la monotonie du parcours, j'arrive à Vierzon à 12h30. Je remplis ma musette et en route.
Mercredi 17 août : Vierzon – Roanne (239 km – 1475 m de dénivelée)
Départ à 7h30
ce matin. Nous prenons la D60
vers Mehun-sur-Yèvre et nous surveillons la route en face de
nous. Et les voilà, exacts au rendez-vous! Annick et Jacques
Lacroix viennent nous aider à traverser Bourges, comme ils nous
l'avaient proposé par mail.
Il fait un temps superbe, même si le vent de nord-est est
toujours bien présent, et nous arrivons rapidement à
l'entrée de Bourges. Là aussi nous avons un rendez-vous.
Et lui aussi est ponctuel, même si dans la précipitation
à prendre notre roue il oublie un gant sur sa voiture! Il s'agit
de Dominique Désir, qui est spécialement venu des
Yvelines ce matin en voiture pour faire un bout de route avec nous.
Quand il a appris notre projet, cela lui a rappelé son
Brest-Menton en 1980 et il a tenu à être sur notre route
comme Cointepas avait été sur la sienne!
Nous passons à quelques
centaines de mètres du domicile de Jacques et Annick. Comment
refuser un café offert de si bon cœur? D'autant plus que
cela fera du bien avant d'affronter le vent qui souffle quand
même pas mal. Café, jus d'orange, séance photos,
inscriptions dans les carnets, tout cela est rondement mené et
nous continuons la traversée de Bourges par des rues bien
agréables.
La D15 à la sortie de la ville est calme, et nous pouvons
discuter tout en progressant un peu péniblement face au vent.
Aux Bourdelins, Annick et Jacques repartent vers Bourges. Merci
beaucoup pour votre compagnie et votre aide!
Dominique décide de continuer avec nous jusqu'à Sancoins.
C'est là que nous nous apercevons qu'à la suite d'un
copier-coller incomplet sur la feuille de route électronique,
une heure a disparu dans le décompte horaire (mais sans affecter
heureusement le total kilométrique). Nous voilà donc
soudain pénalisés d'une heure de retard! Comme nous
arrivons à midi à Sancoins, nous décidons de
changer nos plans et de nous arrêter pour déjeuner.
Le marché embarasse tout le centre ville, et nous devons marcher
pour traverser la localité. Heureusement, le repas est
très rapide au restaurant Saint-Joseph. Le personnel est
très gentil et se prend au jeu lorsque nous expliquons que nous
voulons manger rapidement. Nous parvenons donc à déjeuner
et contrôler en une heure.
Dominique repart vers Bourges, nous poursuivons vers le sud-est. La boucle est bouclée, Dominique nous a transmis le relais de Cointepas, comme le montre la juxtaposition de nos carnets (à gauche celui de Dominique en 1980, à droite le nôtre):
(Avril 2005) Nous avions perdu une bonne demi-heure à contourner Bourges par une rocade, et à la sortie une violente averse nous avait obligés à nous réfugier sous un hangar. La pluie s'était un peu calmée au bout d'une demi-heure, et nous étions repartis sur la N76. A Sancoins, vers midi, le restaurant Saint-Joseph nous avait magnifiquement remis d'aplomb et le temps s'était un peu amélioré.
(1930) Après un réveil assez difficile
– cinq heures de sommeil pour quarante-quatre heures d'effort!
– nous quittons Vierzon à petite allure par la N.76 que je
connais bien. Ce fut elle qui vit passer notre premier voyage à
tandem à Ph. Marre et moi.
L'allure n'a rien de brillant; elle ne le sera guère toute cette
journée, si ce n'est que sur la fin du parcours. Nous traversons
de longues étendues cultivées, légèrement
vallonnées, où nous nous ennuyons quelque peu.
Les villages sont rares, le paysage ne change guère. Nous voyons
arriver Sancoins avec plaisir. La foire sévit à Sancoins,
gros bourg du Cher, c'est dire que nous parcourons le village au
ralenti, au milieu d'une foule de paysans, de bestiaux, de charrettes,
etc. Comme il n'est pas loin de midi nous nous arrêtons dans un
hôtel où l'on nous sert rapidement ce que nous demandons.
(1935) A Bourges, 14h30, je sens mon boyau avant se dégonfler, un coup de pompe, mais 20 km plus loin je suis obligé de le remplacer. La route jusqu'à Sancoins est ondulée et rappelle la Bretagne. J'aime bien les côtes, cela forme diversion, mais lorsque la distance commence à peser et que le temps est lourd d'orage, je les trouve plutôt mauvaises, d'autant plus que j'ai mal aux genoux.
Nous repartons par les petites routes à l'ouest de l'Allier. Nous avons rendez-vous à Moulins avec M. Roland Sauvaget, que nous devons prévenir à notre passage à Sancoins. Las, quand nous appelons chez lui il est déjà parti au lieu de rendez-vous (un petit square avant le pont sur l'Allier). Mésentente due à notre retard d'une heure. Et quand nous le rappelons chez lui avant d'arriver à Moulins, il s'excuse de ne pas pouvoir y retourner. Dommage!
(Avril 2005) Après Sancoins, nous avions
rejoint la N7 à Saint-Pierre, et là ce fut l'effarement:
une circulation dense sur une route à quatre voies, de
camping-cars, de voitures chargées ou avec remorques donnait
à notre présence sur cette route à cette
heure-là (milieu d'après-midi d'un dimanche de vacances)
le caractère d'une roulette russe. Nous nous étions
arrêtés devant le monument du Dirigeable République
pour souffler un peu, et à l'entrée de Moulins vers 15h30
nous avions rencontré M. Sauvaget, qui nous avait offert du
chocolat et des bananes et nous avait ensuite gentiment guidés
pour passer Moulins derrière sa voiture.
A la sortie de Moulins, le fort vent du sud apportait visiblement de
nouvelles pluies. Nous avions auparavant réfléchi
à la possibilité de quitter la N7 pour gagner Roanne par
Le Donjon. Nous aurions fait étape à Roanne (au lieu de
Lyon comme prévu). Mais cela nous aurait obligé à
déplacer le contrôle de Lapalisse, sans augurer de ce qui
nous attendait plus bas sur la N7, que nous étions censés
emprunter jusqu'à Menton. Nous avions alors décidé
de jeter l'éponge pour "incompatibilité
d'itinéraire" et étions restés cette
nuit-là à Moulins. Ainsi s'était achevée
notre tentative d'avril, riche néanmoins d'enseignements
divers…
(1930) Après un bon moment de repos, nous
quittons Sancoins en dedans de notre action - comme diraient les
chroniqueurs sportifs - en direction de l'Allier, que nous ne tardons
pas à traverser sur un pont suspendu, peu avant d'arriver
à Saint-Pierre-le-Moûtier, où nous retrouvons cette
vieille connaissance de N.7., dont je me flatte de connaître tous
les tournants, de Paris à la frontière italienne.
Saint-Pierre-le-Moûtier, un pays qui ne vous dit rien amis
lecteurs, mais qui est plein de souvenirs de voyages pour Philippe
Marre et moi, souvenirs remontant à l'époque du tourisme
à bicyclette sur l'antique vélo Tour de France! A partir
de là, je suis en pays connu, et malgré la monotonie de
la route, je ne m'ennuie pas, parce que je songe aux voyages
passés, ayant emprunté cette N7.
Le ciel est toujours très couvert et peu engageant. Nous nous
arrêtons quelques minutes au monument aux Morts du dirigeable
"République" pour prendre une photographie de ce curieux
mémorial.
Nous ne tardons pas à arriver à Moulins où nous
cassons la croûte vers trois heures et demie. La N.7.
après cette ville, n'est guère plus intéressante
que celles dont nous avons suivi le fil depuis Brest, mais nous avons
la consolation de penser qu'à partir de Varennes-sur-Allier,
nous allons traverser une région de montagnes de moyenne
altitude qui rompra la monotonie du voyage.
(1935) Après Sancoins (17h), une longue descente me fait passer l'Allier, cependant que l'orage éclate plus au nord. A Saint-Pierre je retrouve cette vieille connaissance de N7, dont je connais tous les virages et toutes les côtes et que je vais suivre jusqu'à Menton. Moulins, 19h, ravitaillement, j'arrive à Lapalisse à 21h50. La première manche de 750 km est gagnée sans trop de fatigue, à près de 19 km/h de moyenne.
Nous quittons rapidement la N7 pour
nous diriger vers Le Donjon. Il fait chaud, le vent est toujours contre
nous et le relief s'accentue, offrant de beaux points de vue aux
sommets des côtes. Au Donjon, une petite halte à l'ombre
est la bienvenue. Une petite fontaine et un banc, un melon, le bonheur!
La route continue à onduler jusqu'à Marcigny, où
nous retrouvons la vallée de la Loire. Là, le vent du
nord-est devient enfin favorable, et c'est à toute vitesse que
nous atteignons Roanne vers 20h, en ayant rattrapé la
moitié de l'heure de "retard informatique"…
Une soirée agréable nous attend au Campanile de Roanne.
Peut-être aurons-nous le vent favorable et le Mistral demain, qui
sait?
(1930) Aujourd'hui, la N.7. est entièrement
refaite et c'est un véritable plaisir de la parcourir, d'autant
plus que les Monts de la Madeleine, sur notre droite, sont encore
blancs de neige.
Nous dînons à Lapalisse sans nous attarder, car nos amis
des Cyclotouristes Roannais sont prévenus de notre
arrivée et nous attendront certainement. En entrant en ville,
nous rencontrons Lucien Clairet, qui nous mène au siège
de la Société où de nombreux amis nous attendent.
Il est vingt-deux heures et nous sommes à 900 km de Brest.
Nous serions bien restés jusqu'à trois heures du matin
à converser avec les cyclotouristes roannais, à parler
montagne avec Gaston Roudillon, mais la prudence nous oblige à
nous reposer. Plus nous resterons en si bonne compagnie, moins il nous
faudra dormir, car le départ est irrévocablement
fixé à 4 heures si nous voulons atteindre demain
Maillane, à 330 km de Roanne. Après avoir battu un ban en
l'honneur du mariage de Paul Treille, le président, nous nous
retirons à 22h30. Que tous nos amis roannais trouvent ici nos
remerciements, pour la réception si charmante et si cordiale
qu'ils ont organisée pour nous ce soir-là.
(1935) A 4h30 le samedi 18 mai je suis
réveillé et j'entends le doux murmure(!) de l'eau
ruisselant dans les gouttières. Aussitôt habillé,
je constate que la neige tombe, au mois de mai. Pour comble de bonheur,
mon boyau arrière est à plat. Je regonfle et pars
à 5h30, stoïquement, sous la neige, car je dois rencontrer
Lucien Clairet à 7h à Roanne. Au bout de quelques
kilomètres d'une rampe douce, je suis aveuglé,
gelé, transis, trempé entièrement par la neige
tombant en flocons serrés. Elle s'accumule dans mes garde-boue,
bloquant les roues, s'entasse dans le pédalier et autour des
moyeux. Elle forme maintenant une couche de 5 cm dans laquelle je
glisse et dérape. Et ma roue arrière est encore à
plat. Je mets en panne au Café du Sud, à Saint-Martin,
où l'on me refuse une brique chaude et le droit de me
sécher près de la cuisinière. J'envisage nettement
l'échec du raid. A-t-on idée de partir par un temps
pareil? Effectivement, je serais resté deux heures de plus au
lit, j'aurais évité cette dure épreuve.
A 7h45, la neige s'étant arrêtée, je pars dans un
cloaque innommable, poussé par un vent du nord, cependant que
les collines environnantes ont revêtu leur parure hivernale.
Bientôt je trouve M. Caillot du G.M.R., venu à ma
rencontre malgré la neige. Nous devisons gaiement ensemble, car
c'est la première conversation que j'ai depuis Brest. Nous
arrivons à Roanne à 9h. Télégramme à
Lyon pour annoncer mon passage à 13h30 seulement, graissage du
vélo qui en a besoin après la neige et casse-croûte.
Jeudi 18 août : Roanne – Avignon (321 km – 1483 m de dénivelée)
Aujourd'hui départ à
4h, pas de petit déjeuner buffet à l'hôtel. Nous
devons rejoindre la vallée du Rhône par la N7, et nous
comptons sur un départ très matinal pour nous
éviter une circulation trop dense. Effectivement, seuls quelques
camions démarrent leur journée et la route est
très calme. Il fait bien noir, nous levons les yeux vers le ciel
et constatons que les étoiles ne sont pas visibles.
Bientôt, quelques gouttes de pluie confirment cette impression,
heureusement sans suite. Le vent, lui, pousse encore.
La montée du col du Pin-Bouchain semble interminable dans la
nuit. Les rampes se succèdent et nous mettons souvent tout
à gauche. Enfin nous voilà en haut, comme l'atteste
(hum!) la photo ci-contre de Francine devant le tandem.
Nous filons vers Tarare, et le jour est levé lorsque nous nous
arrêtons à l'Arbresle pour contrôler et prendre une
boisson chaude.
(1930)
Couchés
à 23h30, nous nous levons à 3 heures et demie du matin,
les jambes encore plus raides qu'à Vierzon, le moral par contre
gonflé à bloc: c'est que dans quelques heures, nous
allons retrouver à Vienne le tandem Roumanille, "monté
à notre avance" comme on dit là-bas.
Dès la sortie de notre hôtel la pluie nous prend, une
petite pluie fine et glaciale, tout à fait ce qu'il faut pour me
remettre un genou grippé depuis la triste Bretagne. Il fait
encore nuit. La pluie tombe lentement. On n'entend que le clapotis de
l'eau lorsque le tandem traverse une flaque. La route jusqu'au lieu-dit
L'Hôpital est plate comme la main, mais après le carrefour
de la route de Saint-Etienne elle commence lentement à monter.
Nous étouffons littéralement sous nos
imperméables, que nous quittons d'ailleurs peu après. Le
jour se lève lentement sur les Monts du Lyonnais où les
nuages courent comme sur les grands sommets alpins un jour de
tempête. La pluie décidément, sera le signe de
notre randonnée, et nous pouvons dire que sans elle nous aurions
gagné un temps appréciable.
Cette côte du Pin-Bouchin est décidément
interminable. Elle sera pourtant moins pénible que la descente
sur Tarare où Coiffier arrive - étant à l'avant -
trempé des pieds à la tête et gelé
par-dessus le marché. Partis de Roanne avec un malheureux
café et deux "pôvres" croissants dans l'estomac, nous
menaçons de dévaliser Tarare en brioches et chocolat
tellement nous avons faim! Lorsque nous repartons, la pluie tombe de
plus en plus.
(1935) A 9h30 nous repartons, puis M. Caillot me quitte à Saint-Symphorien. Aidé par un vent presque favorable, je monte facilement. Le Pin-Bouchin, point culminant de ma Diagonale, est atteint à 11h. Une descente rapide me conduit à Tarare pour le ravitaillement.
Le vent demeure favorable, et nous descendons (globalement) vers Lyon, malgré quelques courtes remontées. Mais la circulation devient très dense et un peu frénétique, essentiellement des gens qui partent travailler à Lyon. De plus, il y a de nombreux et assez longs "couloirs de la mort" dans ce secteur. Heureusement, à la Tour-de-Salvagny nous quittons la N7 et nous louvoyons jusqu'à Tassin par des routes parallèles.
Le contournement de Lyon est effectué par Brignais (où nous complétons notre petit déjeuner) et Givors. Nous rejoignons la N86 que nous allons suivre longtemps, évitant ainsi sa cousine la N7 sur l'autre rive du Rhône. La mauvaise nouvelle, c'est que le vent vient maintenant du sud-sud-ouest et que les nuages de pluie s'accumulent. Mais enfin, le terrain est plat et nous progressons bien quand même. Quant à la pluie, hormis une courte averse à Givors (qui sera d'ailleurs la seule de cette Diagonale), nous ne serons pas inquiétés. Nous arrivons à hauteur de Vienne avec 20 mn d'avance.
(1930) Ayant prévenu de Moulins que nous serions à Vienne à 9 heures, je m'aperçois que nous ne pourrons jamais arriver à l'heure H. La route est très accidentée. Le tandem, dans les descentes effectuées à toute vitesse, soulève de véritables gerbes d'eau que j'encaisse sans sourciller. La pluie devient d'une telle violence à Tassin que nous devons nous abriter quelques instants. Au lieu de traverser Lyon, nous évitons la ville en prenant le G.C. 13 bis, dont j'ai parlé ici-même assez souvent. A Brignais, nous nous ravitaillons rapidement, passons Givors de même et arrivons à Vienne bien après l'heure fixée.
(1935) Je suis à Tassin à l'heure H: 13h30. Et voici M. Reiss sur son tandem. Cela fait plaisir et remonte le moral de trouver des gens de connaissance. Pessimiste, il m'annonce un fort vent de sud-sud-ouest dans la vallée du Rhône. Nous prenons le GC 13 bis, bien connu des randonneurs, plus court et permettant d'éviter les pavés de Lyon. Le tandem "Comet" entre en action, c'est du 40 et je suis décollé dans la roue. A cette allure nous arrivons vite à Brignais, en même temps que la pluie. Devant l'inclémence du temps, M. Reiss rentre à Lyon, après m'avoir confié un boyau ultra-léger. Quelques minutes après, un orage de grêle d'une rare violence me contraint à m'abriter: on ramasse les grêlons à la pelle. le vent, assez gênant, ralentit mon allure.
Ah,
un coup de fil sur le portable! Nous l'attendions, c'est celui de
Jean-Philippe Battu, le sariste grenoblois à qui aucun
diagonaliste passant entre le Mont-Blanc et les contreforts de
l'Ardèche ne peut échapper. Il "monte à notre
avance" sur la N86. Venu à vélo de Grenoble, il est lui
aussi en pleine préparation d'une Diagonale prévue la
semaine prochaine. La jonction se fait vers Serrières, et nous
roulons de concert vers le sud. Il fait bon maintenant, et les haies
nous protègent assez bien du vent.
Sarras, l'heure du déjeuner, donc c'est là que nous
déjeunerons. Un bon repas au frais avec Jean-Philippe, nous
échangeons les dernières nouvelles et papotons
agréablement devant des ravioles, spécialité
régionale du coin.
Après le repas nous repartons ensemble jusqu'à Tournon, où nos routes se quitteront. Après nous avoir donné deux parts de son excellent gâteau diagonaliste (que j’avalerai à moi tout seul plus tard dans l’après-midi), Jean-Philippe nous photographie, en roulant, à l'arrêt, sous toutes les coutures.
Nous réussissons aussi à prendre une photo de lui, mais seulement à l'arrêt!
Au moment de nous séparer,
à Tournon, Jean-Philippe se penche avec curiosité vers
notre frein à disque arrière. Accompagnant son regard,
nous remarquons que nous avons un rayon cassé. Au plus mauvais
endroit, celui où il faut démonter le disque et la
cassette! Heureusement, nous avons ce qu'il faut, nous sortons la
clé démonte-cassette (qui sert aussi à enlever le
disque) et le fouet à chaîne dont nous avions
préalablement parlé en roulant entre Sarras et Tournon,
et qui avait laissé Jean-Philippe incrédule.
A trois, nous avons vite fait d'enlever la sacoche arrière et la
roue, de démonter le disque et la cassette, de changer et serrer
le rayon (dont l'écrou était heureusement resté en
place) et enfin de tout remonter. Plus d'une demi-heure perdue,
toutefois, que nous ne parviendrons pas à reprendre. Bah, ce
n'est qu'un incident de parcours. Casser un rayon au bout de 1000 km
avec un chargement de plus de 10 kg à l'arrière n'a rien
d'anormal. Les trous sont suffisamment nombreux sur les routes
françaises…
Enfin nous nous quittons pour de bon, Jean-Philippe nous souhaite bonne chance, et nous lui souhaitons la même chose en retour pour sa propre Diagonale.
(1930)
nous rejoignons à une dizaine de
kilomètres de Vienne H. Roumanille et sa nièce
Thérèse qui nous attendaient tranquillement à
l'ombre d'une borne Michelin! Quel plaisir tout de même que de
retrouver dans la vallée du Rhône de si bons amis qui
n'ont pas hésité à se déplacer de Maillane
pour nous accompagner. Avant de nous attendre, ils avaient rendu une
pieuse visite à la tombe de Vélocio à Loyasse. Je
ne vous présenterai pas Thérèse Roumanille et son
oncle. Vous savez que ce sont d'excellents cyclotouristes de Maillane,
qu'ils ont été les premiers à escalader le Ventoux
par Malaucène, etc.
Les kilomètres passent sans que nous nous en apercevions
tellement la conversation est soutenue. Nous arrivons à
Saint-Vallier où nous prenons le café. Aujourd'hui, le
mistral ne souffle guère, mais le peu d'ardeur qu'il met
à la besogne nous aide néanmoins.
Le pneu arrière du tandem se dégonfle petit à
petit depuis ce matin. Comme nous ne sommes pas trop en retard, nous en
profitons pour boucher le trou imperceptible. Cette crevaison sera la
seconde et la dernière du voyage. Qui donc disait que les pneus
façon-main ne tenaient pas le coup?
(1935) Comme Vélocio, je passe le Rhône à Saint-Vallier. Sur la N7, le vent me prend de face et à Tournon (18h), je reprends la N86. Cette route, suivant au plus près les contreforts de l'Ardèche, est mieux abritée du vent et moins sillonnée des autos que la N7. Elle est aussi plus pittoresque et est à recommander aux cyclotouristes descendant en Provence.
La
route se poursuit vers le sud, assez facilement somme toute. Que
serait-ce si nous avions le mistral? De nombreuses carrières et
usines jalonnent la route, appartenant essentiellement aux entreprises
de cimenterie Lafarge. Le village de Cruas est carrément
recouvert partout d'une fine couche de ciment. Pas de chance, il se
trouve aussi à quelques hectomètres d'une usine
nucléaire! Nous enjambons le Rhône par un petit pont
pittoresque après Viviers, nous traversons Donzère et
nous nous retrouvons peu après sur une route ventée,
rectiligne, plate et un peu démoralisante qui nous conduit
à Bollène. Là, compte tenu de notre retard de
trois quarts d'heure, nous décidons de dîner et de
terminer tranquillement le ventre plein jusqu'à Avignon.
En quittant Bollène il fait presque nuit, nous rejoignons
Mondragon et nous avons le plaisir de jouir à Orange (22h) du
spectacle de l'arc de triomphe bien illuminé. Puis la N7 nous
conduit jusqu'au Pontet, dans la banlieue nord d'Avignon, où
nous perdons un quart d'heure à localiser notre Campanile. A
minuit nous sommes dans les draps, tout se passe bien…
(1930) Voilà
déjà
Montélimar et la côte de Donzère qui me semble
autrement moins pénible que l'an dernier. Nous
dégringolons l'autre versant à toute vitesse, traversons
le village et nous arrêtons à Pierrelatte pour
dîner. Nous serions bien restés là un bon moment
encore si le devoir ne nous avait pas appelés sur la route. Nous
partons donc à la nuit tombante et recommençons à
grignoter des kilomètres. Lapalud, Mondragon, Mornas, rien
à signaler, les deux tandems roulent côte à
côte à bonne allure, sans le moindre incident. La nuit est
magnifique, une belle nuit de Provence comme il n'en existe pas
à Paris, et encore moins en Bretagne !
Nous arrivons à Orange
vers dix heures du soir. Nous nous
arrêtons dans un café. La température, toujours
aussi douce, nous laisse présager le beau temps jusqu'à
la fin du voyage. Voici les rails du tramway de Sorgues et les
lumières d'Avignon. Nous évitons la ville par de savants
détours par delà les remparts et nous arrivons sur la
route de Tarascon. Au bout de quelques kilomètres un feu est
signalé venant à notre rencontre. C'est celui du tandem
de MM. Boyer et Genin, deux amis avignonnais devant nous accompagner
demain, après Maillane. Encore une rencontre comme on aimerait
en faire à chaque tournant de route. Par des chemins à
moi aussi familiers que ceux des environs de Paris, les trois tandems
gagnent Maillane où ils arrivent vers une heure du matin.
Je n'ai plus besoin maintenant
d'insister sur le compte de Maillane,
tout le monde sait où se trouve ce charmant village
provençal qui vit cette année à Pâques une
affluence de cyclotouristes considérable, à l'occasion du
Meeting des Baux. C'est à Maillane que nous reposerons cette
nuit avant de repartir pour la dernière étape, vers
Menton. Thérèse infatigable, à peine descendue de
machine, se met en demeure de nous servir un bon repas, tandis que la
conversation roule de sujet en sujet. Bien à regret nous montons
nous coucher vers deux heures avec la perspective de se lever à
cinq heures et demie. F. Boyer et L. Genin se tinrent
éveillés toute la nuit pour ne pas manquer le
départ à 6 heures.
(1935) Je dîne à Cruas (20h20 à 21h), petit village où se trouve une importante usine à ciment. Bien que le vent soit tombé, l'allure est peu rapide, puisque je n'atteins Pont-Saint-Esprit qu'à minuit. Aussitôt après le pont, un petit V.O. m'amène à Mondragon. Et revoici la N7 dans toute sa splendeur nocturne, où les camions, mastodontes de la route, sont rois. Le sommeil m'empoigne à nouveau sur cette route très fréquentée. A Orange, je me couche, comme une bête, dans un camion abandonné. Pendant deux heures je dors, bercé par le vrombissement des poids lourds.
(1980) C'est au niveau de Valence que l'itinéraire de Dominique Désir coupe la vallée du Rhône, pour se diriger vers Crest et les Alpes du sud.
Vendredi 19 août : Avignon – Menton (307 km – 1948 m de dénivelée)
Initialement, nous avions prévu de passer
à Maillane comme Grillot et Coiffier qui y avaient dormi, mais
le détour et l'absence d'hôtel dans la localité
nous ont conduit à opter pour un trajet plus direct de 17 km. De
plus, nous n'avons pas comme Grillot la motivation de l'amour qu'il
éprouvait, dit-on, pour Thérèse Roumanille…
Pour la petite histoire, l'oncle de Thérèse, qui
était apparemment son tuteur, refusa la main de sa nièce
à Grillot quand celui-ci la demanda, le trouvant trop
désinvolte sur la situation qu'il pouvait offrir à
Thérèse.
Bref, il est 7h quand nous quittons le Pontet sous un franc soleil.
Avignon est contournée avec brio par la banlieue est, et
bientôt nous retrouvons la N7 en direction d'Orgon. La
circulation est assez intense, mais heureusement elle se calme une fois
passées les bretelles d'accès aux autoroutes.
Ce matin il n'y a aucun vent et la
route est toute plate. Nous avons rendez-vous à
Pélissanne avec Jean-Paul Dréno qui a prévu de
faire un bout de route avec nous. En attendant, nous suivons la "Route
Jean Moulin" et peu avant Salon-de-Provence nous passons devant le
mémorial dédié à ce martyr de la
Résistance. Nous avons du mal à trouver un angle de photo
qui évite le soleil aveuglant du matin.
La traversée de Salon s'effectue au prix d'une petit
détour par une rocade. Mais c'est pile à l'heure que nous
retrouvons Jean-Paul qui nous attend en effectuant des tours du
rond-point à la sortie de Pélissanne. Retrouvailles
joyeuses, Jean-Paul est un ami discret et très agréable,
nous sommes contents de le voir sur ses terres. Nous admirons sa
nouvelle randonneuse noire. En esthète, Jean-Paul a mis
aujourd'hui un maillot tout blanc.
La petite route que nous avons choisie pour rallier Aix, via
Éguilles, est assez mal revêtue, ce qui nous permet de
nous rendre compte que la roue avant est dégonflée.
Autant changer la chambre, ce qui est vite fait.
Nous arrivons à Aix par une belle descente, nous contrôlons et en profitons pour grignoter quelques friandises achetées à la boulangerie, ainsi que les gâteaux maison préparés par Mme Dréno à notre intention. Délicieux!
(1930)
Je suis totalement abruti dans
mon lit et MM. Roumanille, Boyer et Genin semblent être pour moi
le Procureur de la République, l'avocat, le substitut, venant me
dire le fatidique "Soyez courageux". Je leur demande si "l'autre" est
levé. L'autre c'est mon complice Coiffier qui dort à
l'étage en-dessous et
qui, comme moi, est
condamné aux galères, c'est-à-dire à aller
de Brest à la frontière italienne sur un engin que l'on
nomme tandem.
Tant bien que mal nous quittons à 6 heures la patrie de Mistral,
la mort dans l'âme comme bien entendu. Heureusement encore que
Boyer et Genin sont là pour nous aider et alimenter la
conversation. Par une route assez mauvaise nous atteignons
Saint-Rémy-de-Provence où naquit, paraît-il,
Nostradamus, et regagnons la N.7. quittée à
l'entrée d'Avignon, par la N.99, côtoyant les Alpilles. Le
temps est magnifique, les montagnettes de Provence se détachent
sur un ciel d'un azur incomparable, donnant au paysage un cachet bien
particulier à cette belle région.
A la sortie d'Orgon, nous cassons un câble de frein
remplacé aussitôt par F.Boyer, qui ne craint pas de se
salir les mains avec l'innommable couche d'huile et de boue recouvrant
la machine. Enfin voilà la dernière côte et la
plongée sur Aix-en-Provence où nous atteignons la vitesse
limite. Nous nous reposons une longue heure dans un café
où nos bons amis F.Boyer et Genin nous quittent pour rentrer
à Avignon.
(1935)
Au Pontet (dimanche 19 mai à 4h30), je prends un raccourci
permettant d'éviter les pavés d'Avignon. Avec le petit
jour le froid devient plus vif; je suis transpercé, glacé
de partout. La route est plate, puis commence à onduler avant
Lambesc (7h).
Crevaison intempestive, on n'a pas idée de partir pour un tel
raid avec de vieux boyaux. Je remonte le tube percé à
Bourges. Casse-croûte à Aix (8h).
Il est 11h, ça y est le vent se lève. Mais, divine surprise, il souffle maintenant dans notre dos, et de plus en plus fort! Quel plaisir et quel réconfort! Grâce à lui, notre avance ne cessera de croître tout au long de la journée.
Pour l'heure, nous prenons la route
de Trets, entièrement doublée par une bonne piste
cyclable, ce qui nous permet de mieux discuter avec Jean-Paul. Lui
aussi a déjà fait une Diagonale cette année. Il
fait bon, il fait plat et maintenant il fait faim. Voilà
justement Trets, où une sympathique pizzeria nous permet de bien
nous restaurer sans perdre de temps. Allez, une bonne bière,
ça nourrit aussi!
Nous nous séparons, à bientôt Jean-Paul et merci!
Nous remontons peu après sur la N7, avant de plonger vers
Saint-Maximin-la-Sainte-Baume.
(1930) En quittant Aix, nous remarquons que le temps
s'est sérieusement gâté et que nous restons sur
place. Coiffier souffre de la selle, et mon genou me tiraille
continuellement. Nous ne prononçons pas une parole et le paysage
cependant agréable passe tout à fait inaperçu. A
ce moment, nous aurions donné je ne sais quoi pour être
à Menton.
Un vent de trois quarts face nous gêne considérablement.
La pluie se met à tomber fine et pénétrante: c'est
presque la débâcle. Péniblement, nous arrivons
à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume où nous déjeunons
sans appétit.
(1935) Je repars d'Aix d'autant mieux qu'un vent ouest s'est levé, et augmentera au cours de la journée. Comme un plaisir ne vient jamais seul, je croise un cyclotouriste, venu à ma rencontre, alerté par M. Reiss. Nous ne nous sommes jamais vus et pourtant nous nous reconnaissons. Arrêt pour regonflage de mon boyau. Une longue descente en ligne droite nous amène à Saint-Maximin.
Nous filons à plus de 30 km/h de moyenne vers Brignoles, Le-Luc, Vidauban. Quelques côtes de temps en temps, suivies de folles descentes. Vent dans le dos, nous friserons plusieurs fois les 70 km/h aujourd'hui! Nous arrivons ainsi à Fréjus à 17h20, avec 1h20 d'avance.
(1930)
A une moyenne horaire assez faible nous poursuivons notre route par
Brignoles où les côtes recommencent à se
succéder sans interruption. Cette fois-ci, nous
commençons à en avoir assez d'être sur ce tandem
depuis lundi dernier et nous nous énervons au moindre incident.
La pluie ne nous quitte guère depuis Saint-Maximin. Le vent, par
contre, s'est un peu calmé‚ ou du moins son effet
désastreux est atténué par les montagnes du haut
Var.
Nous dînons à Vidauban. Je constate que nous n'avons pas
de train à Menton pour nous ramener à Avignon avant le
lendemain matin à huit heures. En conséquence, nous
décidons de ne pas nous presser et de traîner toute la
nuit sur la route. Il n'y a d'ailleurs aucun moyen de faire autrement.
La N.7, depuis la vallée du Rhône, est en cours
d'élargissement, si bien qu'en pleine nuit, lentement
heureusement, je précipite le tandem dans un chantier non
éclairé. Plus de peur que de mal. La nuit est absolument
noire, et comme nous marchons lentement de peur des dérapages
sur la route mouillée, nous ne voyons pas grand'chose. Vers onze
heures du soir nous arrivons à Fréjus où les
cafés sont encore ouverts.
(1935)
A Tourves, mon compagnon me quitte pour retourner à Aubagne. Peu
après, mon boyau étant encore dégonflé, je
monte le super-léger de M. Reiss. Qu'ai-je fait là?
Poussé par le vent, je m'envole, littéralement surpris
par ce rendement inattendu, poussant en souplesse mon 7m70.
Le retard pris cette nuit diminue sérieusement, Brignoles,
10h45, ravitaillement. A cette allure, je suis à Fréjus
à 13h30. C'est le soleil, la mer céruléenne
aperçue à tribord, les palmiers, les roses, les fleurs,
le Midi; allons, la vie est belle.
En route pour la montée des
Adrets, qui nous permet de franchir l'Esterel et d'atteindre la
Côte d'Azur. Nous grimpons facilement, même si les jambes
n'ont plus la fraîcheur du premier jour. En haut, nous sommes
récompensés par quelques kilomètres en corniche.
Le panorama est extraordinaire, et les images fugitives de tous les
paysages aperçus en quelques jours, des ports bretons aux pins
de l'Esterel, défilent dans nos têtes.
La descente vers Mandelieu est ponctuée de quelques
remontées. Nous faisons une petite halte pour photographier
l'Auberge des Adrets, qui existait déjà en 1930, et nous
plongeons avec ravissement vers la Grande Bleue…
Certes, la Côte est
extrêmement urbanisée, mais cette urbanisation semble
moins sauvage, plus canalisée qu'à ses débuts.
Pour nous autres gens du nord-est, elle a toujours le charme
légendaire du soleil lié aux vacances…
En attendant, la N7 ne nous permet pas de voir la mer, car il y a pas
mal de circulation et de feux, il s'agit d'être attentifs.
Néanmoins, nous avançons correctement, nous passons
Cannes en évitant la Croisette et nous décidons de
prendre un dernier dîner avant de rallier Menton. C'est un kebab
à Antibes qui a l'honneur de notre visite, d'aillleurs
après nous avoir interrogés le patron explique à
tous ses clients ce que nous sommes en train de réaliser. En
tout cas, son assiette kebab-boulghour est excellente et copieuse!
En sortant du snack il commence à faire nuit, nous enfilons une
dernière fois nos baudriers, nous allumons nos quatre lampes
(deux à l'avant, deux à l'arrière, deux
clignotantes et deux fixes) et nous partons en essayant d'éviter
les trous dans la route. Enfin, avant Nice, nous longeons le front de
mer jusqu'à l'aéroport et le pont sur le Var.
(1930) Nous grimpons une côte interminable -
elle a bien dix kilomètres - dans un site qui doit être
enchanteur en plein jour, certainement plus en tout cas que la route de
la mer, hérissée d'abominables panneaux de
publicité, détruisant totalement le site. J'ai ouï
dire qu'il existait quelque part en France un Comité de
protection des sites. Les membres du sus-dit Comité ne voyagent
donc pas et se contentent donc de discuter autour d'un tapis vert? Je
serais porté à le croire en constatant le mal dont
souffre la Côte d'Azur française. Si cela continue, le
touriste parcourant la N7 ne verra plus la mer, mais une succession de
barrières jaunes, rouges, bleues, vertes sur lesquelles sont
peintes en lettres géantes, des inscriptions ne trompant
personne.
J'ai connu naguère la Côte d'Azur. Je la revois
aujourd'hui dans un triste état. Je ne suis pas près d'y
retourner ni de conseiller à nos lecteurs d'y aller. On voit
aussi bien sur la route de Quarante-Sous!
La rampe culmine vers 325 mètres d'altitude à
proximité de l'auberge des Adrets où se réfugiait
le fameux brigand Gaspard de Besse. Nous descendons lentement par une
route en bon état, de laquelle nous apercevons les
lumières de Cannes au fond du Golfe de la Napoule.
Nous entrons dans la ville vers deux heures du matin. Nous avons la
chance de trouver un café ouvert, où nous pouvons nous
réconforter. Nous restons là près d'une heure au
milieu d'un groupe de fêtards contemplant d'un oeil amusé
notre machine et nos visages fatigués. Après Cannes, nous
traversons Golfe-Juan, Juan-les-Pins, Antibes, où je tombe de
sommeil. Je suis obligé d'arrêter le tandem et de
céder la direction à Coiffier qui, heureusement, ne
s'endort pas. Cette défaillance qui comptera dans ma
carrière ne dura qu'un quart d'heure, mais elle fut rude, et si
Coiffier n'avait pas repris tout de suite le guidon, j'ignore à
quelle heure nous serions arrivés au but.
Après Cagnes, nous franchissons le pont sur le Var et quittons
la route nationale de manière à éviter les
pavés de la Californie sévissant de l'hippodrome à
Nice, soit six kilomètres.
(1935) Au milieu des pins maritimes, la route s'élève peu à peu. Elle culmine à 11 km de Fréjus, petit col atteint en 40 minutes. C'est la plongée sur Cannes, plongée coupée par des contre-pentes dans un site enchanteur. J'évite les pavés en prenant la route du bord de mer, jusqu'au port de Cannes (15h), encombré d'une multitude de bateaux. Longeant une végétation luxuriante, je passe Antibes. Maintenant la plaine est aride, les autos sont aussi nombreuses qu'à Paris.
Nous traversons Nice par la Promenade
des Anglais. A cette heure-ci (21h) les palmiers illuminés sont
très jolis. Nous contournons le port et attaquons la Basse
Corniche. La circulation est fluide, mais nos fesses endolories sont
mises à rude épreuve par une chaussée très
mauvaise. D'ailleurs, un bruit suspect se fait bientôt entendre:
nous avons de nouveau cassé un rayon, le même en fait que
celui que nous avons changé à Tournon. A 20 km du but,
nous décidons de passer outre et de continuer ainsi.
Carte postale arrivée à Beaulieu-sur-Mer. La corniche
descend, remonte, mais les vues sur les petits ports des villages que
nous traversons nous font oublier la fatigue. Voilà Monaco, avec
deux rampes sérieuses, puis c'est l'ultime plongeon vers Menton,
où nous parvenons avec une heure et demie d'avance sur notre
horaire et deux heures et demie sur notre délai, à 23h23.
(1930) A l'entrée de la Promenade des Anglais
Coiffier me cède la direction et déclare souffrir
énormément de la selle. Le jour est complètement
venu, de gros nuages noirs roulent au-dessus de la mer qui, ce matin,
vole son titre de Grande Bleue.
Nous prenons par la petite corniche. La moyenne eut été
évidemment préférable mais elle a le défaut
d'être trop dure pour nos jambes fatiguées, car passer une
nuit sur la route après ce que nous venons de faire n'a rien de
réjouissant ni de reposant. La route de cette petite corniche
est, malgré tout, accidentée. De plus une double voie de
tramway la suit de bout en bout. Si l'on ajoute à cela une
couche de boue sur le goudron vous aurez un aperçu des trente
derniers kilomètres de notre voyage. Cette fin d'étape
fut pour nous un calvaire. Coiffier souffrait tellement qu'il ne
pouvait plus tenir en selle. Il se soulevait souvent et imprimait
à la machine des secousses pouvant la précipiter à
terre avec ses occupants, en raison de la boue. Quant à moi, mon
genou ne tournait plus, mais la hantise de l'heure du train me faisait
oublier la souffrance. Je tenais absolument à avoir cet express
de 8 heures, de manière à retrouver nos amis à
Avignon dans l'après-midi, c'est-à-dire le plus tôt
possible.
A Monte-Carlo, nous nous précipitons dans une pâtisserie,
le visage ravagé, les vêtements boueux, comme des
indigents à la porte d'une soupe populaire. Et maintenant que
j'écris ces lignes, assis dans un fauteuil, une bonne pipe aux
dents, je ne peux m'empêcher de sourire en pensant à la
fin de ce Brest-Menton, à nos souffrances, à nos espoirs,
à cette maudite Corniche enfin. Coiffier, pour qui la douleur
devient intolérable, ne se pose presque plus sur la selle.
J'attends la chute à tout instant et lui annonce Menton à
4 km pour le faire patienter. A peine avais-je fini de lui dire cela
qu'un superbe panneau proclame en blanc sur fond rouge "Menton: 11 km".
Je l'aurais pulvérisé! La route monte toujours. Je me
demande quand va-t-elle descendre? L'heure du train approche, Menton
aussi heureusement. Enfin voici la fin. Nous descendons en roue libre
et franchissons, le sourire aux lèvres, le poteau indiquant
Menton.
(1935) Sur la Promenade des Anglais, noire de monde, je vois un cycliste réglant son guidon, et quel cycliste: Griffon, que je croyais à cent lieues de là. Je n'ai aucune peine à l'emmener à Menton, pour le contrôle final. Mais la forme n'y est plus, car il arrive de Corse, le vent souffle de face, les côtes succèdent aux côtes, nous nous égarons dans Monte-Carlo. Une dernière côte, une longue descente et voici enfin Menton à 18h30.
(1980) Les 45 kilomètres qui restaient n'ont pas été très agréables: j'ai eu l'impression de traverser Paris. J'ai bien vu la mer de temps à autre, les palmiers de la Promenade des Anglais, mais surtout de la voiture, de la voiture, et ce en file incessante. Cela m'a paru interminable… Pourtant, j'avançais à près de 23 km/h de moyenne, ce qui n'est pas si mal en ville et avec le relief. A Menton c'est la fin de la belle aventure. Que de souvenirs!
Conclusion
Oui, que de souvenirs! Et quelle fierté d'avoir réussi cette Diagonale sur les traces de ces lointains précurseurs! Bien sûr, les conditions ne sont plus les mêmes, mais sur un vélo, et a fortiori un tandem, beaucoup de choses restent comparables. Et les émotions restent identiques. De plus, la circulation routière était certainement beaucoup plus intense en 1980 sur de nombreux tronçons qu'elle ne l'est maintenant, avec les limitations de vitesse, les ronds-points et les autoroutes qui doublent presque systématiquement les grandes nationales. Peut-être les conditions que nous avons connues sont-elles plus proches de celles de 1930 que de celles de 1980, la qualité du revêtement en plus, la facilité de trouver sa route dans les villes en moins.
Quant à la comparaison entre l'efficacité d'un tandem et de deux vélos solos, laissons à Grillot le dernier mot:
(1930) Une
question se pose. Une éternelle question qui connaît
autant de réponses que de cyclotouristes: "Le tandem, pour une
randonnée semblable, est-il vraiment préférable au
vélo?" Pour ma part, je suis persuadé de la
supériorité du tandem pour des raids même
très longs, en terrain moyennement accidenté. Sur le
plat, le tandem permet de soutenir des moyennes beaucoup plus fortes
qu'à vélo et dans des conditions certainement plus
agréables. Une bonne équipe de tandem doit battre sur
Paris-Avignon un très bon cycliste.
Pour Brest-Menton, je ne serai pas
aussi affirmatif, car, en raison du profil du terrain, notre tandem ne
nous a pas permis des vitesses considérables qui constituent un
avantage sur la bicyclette. Si nous étions partis avec Coiffier
chacun sur un vélo serions-nous arrivés aussi bien? Je
serai presque tenté de le croire, à condition toutefois
que nous nous soyons attendus mutuellement dans les mauvais moments. Si
chacun part à son allure, la randonnée se passe la
plupart du temps en solitaire et la défaillance vient vite pour
celui qui est derrière. Pour ma part, je préfère
le tandem pour la grande randonnée, même s'il doit me
faire perdre du temps. Je n'aime pas rouler seul, je n'aime pas
être lâché, ni attendre les gens qui traînent,
c'est pourquoi la machine double concilie tout, pour la bonne raison
qu'il faut les deux équipiers pour la propulser.
La question du tandem pour une
équipe mixte (en randonnée j'entends) ne se pose pas.
Pour deux hommes, elle est discutable. Tout dépend des aptitudes
des équipiers. Aussi je me garderai de conclure
décisivement et me contenterai de ces quelques mots: "Faites
comme nous, essayez !"
L'itinéraire que nous avons
suivi est loin d'être le plus court. Je suis persuadé
qu'il est le plus facile. Si la route passant par Saint-Brieuc, Rennes,
Laval et Tours est plus courte de 70 km. que la nôtre, elle doit
être aussi pénible jusqu'à Rennes et beaucoup plus
dans les Alpes Mancelles que sur les bords de la Loire, parties
correspondantes au point de vue kilométrage de Brest. Marre,
dans un récent article, parlait de la route d'hiver des Alpes,
qui raccourcit sur la vallée du Rhône. A mon avis, il faut
l'éviter parce qu'elle comporte le passage de cols très
faciles lorsqu'on est frais, mais assez coriaces après 1.000 ou
1.200 km de route. Dès que la distance commence à peser
sur les muscles, les rampes paraissent terriblement dures et longues,
alors qu'avec la même fatigue on marche encore convenablement sur
le plat. Et si j'avais à recommencer Brest-Menton, je crois
qu'à tout prendre je suivrais le même
itinéraire…
Francine & Alain SCHAUBER – 31 août 2005