La naissance des Diagonales





Avant d'évoquer les premières Diagonales, parlons du cadre dans lequel elles s'inscrivent car, on s'en doute, elles ne procèdent pas d'une génération spontanée.

Paul de Vivie, alias Vélocio écrivait, dés 1901:« Tout cycliste, de 20 à 60 ans, bien constitué, peut tourister à bicyclette à raison de 200 kilomètres par jour avec élévation de 2.000 mètres pendant plusieurs jours consécutifs, et exceptionnellement faire une étape de 300 kilomètres avec élévation de 3.000 mètres en 21 heures, repos conquis, sans fatigue anormale ».

Dans les années 30 les grands « raids » n'avaient plus de secret. Les Audax français organisaient, déjà, toute une série de brevets et, en particulier, leur 1000 km. Le Paris-Brest-Paris Randonneur 1931 comptait 45 arrivants dont le premier en 68h30, malgré des conditions météorologiques extrêmement défavorables. Louis Cointepas que nous verrons figurer, à plusieurs reprises, au palmarès des Diagonales, l'a terminé en 70h35, après une série d'incidents mécaniques l'ayant fortement retardé.

Les plus fous exploits étaient envisagés et les recherches de records nombreuses. L'émulation jouant, on voyait se réaliser des défis extraordinaires. Une des performances les plus marquantes est le record du monde de l'année. Ainsi, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1939, Tommy Godwin parcourut 120.779 kilomètres.

Pour les amateurs, il ne s'agissait pas, obligatoirement, de se mettre en avant. Mais, le plus souvent, de prouver qu'un « gentilhomme » ordinaire est capable de performance sportives et (ou), plus modestement, que le vélo est un moyen de voyager agréablement et efficacement. Lorsque l'on sait l'état du réseau routier et la qualité des vélos d'alors, on peut être admiratif... et se sentir petit par rapport à nos anciens.

En ce qui concerne les « ville à ville » et, plus précisément, des traversées intégrales de pays, les anglais avaient précédé les français depuis bien longtemps. Lands End (pointe ouest de la Cornouaille)-John o'Groats (extrême pointe nord-est de l'Ecosse) avait vu le jour au XVIII éme siècle. C'était au temps du grand-bi (le penny-farthing disent les anglais). Dés 1886 George Pilkington Mills, à l'âge de 19 ans alors qu'il était, encore, amateur avait accompli le parcours de 874 miles (1400 km) en un peu plus de 5 jours. Jacques Seray, spécialiste de l'histoire des raids du passé, m'a indiqué que les « records » de cette nature existaient, également, en France. Ne serait-ce que pour le Pau-Calais, d'un certain Baby, établi à la fin des années 1880...presqu'une Diagonale. De nos jours, Lands End-John o'Groats se porte bien puisque plusieurs milliers de cyclos effectuent le trajet chaque année. Si cela vous tente, le CTC vous fournira une abondante et remarquable documention et homologuera votre performance. L'Audax UK organise également, une fois l'an, un brevet sur ce parcours. Comme jadis, la notion de record est entretenu sur ce mythique trajet par la Road Record Association (RRA). Il est, en 2006, de 44 heures 4 minutes 20 secondes.

Arrivons à la genèse qui nous concerne. Evoquant dans Le Cycliste de décembre 1929 le Lands End-John o'Groats au sujet duquel le record venait d'être battu en 61 heures, Vélocio faisait part du courrier d'un lecteur, F. Quentin, qui lui demandait «  Quel est celui de vos randonneurs qui établira le premier record de la traversée de la France dans sa plus grande largeur? ». Le défi était lancé. Le Groupe Montagnard Parisien y répondit et se précipita pour qu'un de ses membres fût le premier à l'accomplir. Ainsi Philippe Marre et Georges Grillot, fort de leur expérience d'un Paris-Toulon en tandem, décidèrent d'inaugurer Brest-Menton. Au dernier moment Philippe Marre, retenu par ses études de médecine, laissa sa place à un jeune camarade, Roger Coiffier alors âgé de 19 ans. Ainsi le 14 avril 1930, à 6 heures, le tandem partait vers Menton pour cette première. Le moins que l'on puisse dire est que cela a été laborieux et Georges Grillot, plusieurs années plus tard, disait: « la honte commence à me gagner pour avoir réalisé, sur ce parcours, le temps ridicule aujourd'hui de 121 heures ». Le mois d'avril est bien tôt en saison pour un pareil raid, les conditions météorologiques étaient défavorables et l'expérience du couple Grillot-Coiffier n'avait rien à voir avec celle du couple Marre-Grillot.

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Quoiqu'il en soit, à force de volonté, ils arrivèrent à Menton et le premier raid Brest-Menton était réussie. Notez que ce temps, qualifié par son auteur de ridicule, est proche du délai accordé actuellement et compte tenu de l'état du réseau routier et de la période de réalisation, il n'a rien de ridicule.

Suite à cette réussite, Philippe Marre écrivait « Joignant deux à deux les cinq points extrêmes de la France, Brest, Dunkerque, Strasbourg, Menton et Bayonne, j'eus l'idée, inspirée d'un concours de motos effectué sur le tracé de cette étoile gigantesque, de préconiser dans Cyclo-Sport (29 mai 1930) la réalisation des quatre autres grandes diagonales de France: Dunkerque-Menton (1.200 kilomètres), Strasbourg-Bayonne (1.100 kilomètres), Bayonne-Dunkerque (1.000 kilomètres) et Brest-Strasbourg (1.050 kilomètres) ». Un peu plus tard, dans Le Cycliste de juillet 1932, il publia le croquis ci-contre qui comprend, en complément, Cerbère comme ville extrême et remplaça Bayonne par Hendaye... les Diagonales, telles que nous les connaissons actuellement, étaient nées.

     
         Comme mentionné plus haut, nous étions dans une époque où l'esprit de compétition était omniprésent. Pour illustrer ce fait nous avons figuré dans le tableau ci-dessous, établi à partir des homologations officielles telles qu'enregistrées au fils des temps, le délai de réalisation des différentes Diagonales. C'était la pratique avant le règlement de 1949 et c'était d'une grande importance pour les diagonalistes des années 1930.

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Chacune de ces Diagonales est une aventure particulière. Aussi, il serait fastidieux de les commenter une à une. Relevons en, cependant, quelques-unes.

        En 1931, alors que nous en étions au tout début, Régina Gambier, une Picarde, réalisa une remarquable première féminine sur D-H en 65h. Notons que, comme il était habituel à cette époque, elle a été accompagnée. Ce qui l'est moins c'est qu'elle a été accompagnée sur tout son parcours ce qui a, bien évidemment, nécessité une remarquable organisation et suscité un bel engouement.

Louis Cointepas a été le premier multidiagonaliste à plusieurs sens du terme: il figure à quatre reprises à ce palmarès. Mais il a, aussi, enchainé deux Diagonales: B-P+P-D. Le « sanglier » qui était artisan meunier à Gien a fortement, par ses exploits mais aussi par ses écrits, influencé l'esprit « randonneur » de l'époque. L'opposition « touriste contemplatif » au « randonneur sportif » était, en ces temps, très vive et l'on a pu lire de belles passes d'armes auxquelles Louis Cointepas a, remarquablement, contribué.
        D-M était surnommé « la Diagonale fatale » car J. Deborne l'avait tentée 3 fois avant de la réussir. Ce n'est pas tout: L. Cointepas l'avait, aussi, tentée 3 fois, E. Lemal, 2 fois, M. Lecomte et M. Hervé tous deux une fois également. Cette D-M avait donc résisté à 10 tentatives avant d'être vaincue. Ce propos me permet d'évoquer les nombreux échecs. En effet il ne s'agissait pas, simplement, de réussir une Diagonale. Les conditions n'avaient rien à voir avec ce que l'on trouve actuellement mais, surtout, il fallait faire dans un temps honorable et, si possible, un meilleur temps que le prédécesseur. Cette pratique conduisait à de fréquents abandons et donc à un taux de réussites inférieur à 50%.

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         Les Diagonales se font, souvent, du nord au sud ou de l'ouest à l'est pour des raisons météorologiques. En 1935, les Hochard, père et fils, rompent avec cet us lors d'une H-D en tandem. Ils voulaient finir dans leur région d'origine. C'est la première diagonale père-fils mais c'est surtout la Diagonale ayant vu le plus jeune lauréat: 14 ans.

Avec la D-M, en tandem, de Lecomte-Ligier les Diagonales s'ouvrent à l'international... ils venaient d'outre Quiévrechain.

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      H. Carquillat dont le nom de plume était Percyclo réalise, en 1937, sa première Diagonale dans un esprit à contre courant des habitudes. Il revendique les titres de « Diagonaliste lent, le plus lent de France et de Navarre » et de « Diagonaliste le plus raisonnable, ce qui est un défaut, un grand défaut... ». On a bien compris, Percyclo faisait parti des « touristes contemplatifs » et il prouvait que les Diagonales n'étaient pas le fait que des « randonneurs sportifs ».
      Le seuil des 72 heures, trois jours, pour B-M a fait saliver plus d'un diagonaliste. En octobre 1938 la nouvelle tombe: M. Gaurel vient de réussir B-M en 72 heures. A la lecture de son compte rendu une belle polémique nait. Tout d'abord M.Gaurel est inconnu du monde des cyclos et il semble difficile de s'improviser diagonaliste à un tel niveau. Ensuite son compte rendu comportait de lourdes invraisemblances à propos de la météo et même quant au parcours. Déjà, en 1936, P. Marre s'était exprimé sur le fait qu'il avait de sérieux doutes sur la validité de deux Diagonales, sans les citer. Les homologations étant faites il était, cependant, difficile de revenir en arrière. Le palmarès ci-dessus comprend donc, au moins, trois Diagonales pour lesquelles on peut, légitimement, contester.

 A ce propos Roland Sauvaget écrivait dans Cyclotourisme : " A l'origine, malgré la recherche du record, Marre n'envisageait guère de contrôle....Se faisait contrôler ceux qui y tenaient....et par qui lui plaisait". Il n'y avait, d'ailleurs, pas de règlement et peu de contrôles. Ainsi plus le temps passant plus la nécessité du règlement se faisait sentir. Il faudra, cependant, attendre 1949 pour le voir publié. Dans ce contexte on n'est pas étonné de trouver dans la littérature des comptes rendus de Diagonales que l'on ne voit pas figurer au palmarès. Citons, à titre d'exemple, la H-M de R. Fourmy en 1937, la D-M de M. Hervé en 1938.

La S-H de J. Masson-E.Lemal de 1939 a, longtemps, été absente du palmarès. Ainsi elle a été qualifiée de « Diagonale oubliée ». Il faut préciser que cette Diagonale a été réalisé en août 1939, le mois de la mobilisation. Ce n'est qu'en 1949 qu'elle est apparu sur la liste officielle des réalisations. C'était la première Diagonale en tandem mixte et dans la continuité de l'esprit de l'époque le meilleur temps de S-H était amélioré.

Voici dix ans de Diagonales stoppées brusquement par une guerre qui a vu disparaître bon nombre de cyclos et constructeurs de cycle. Les Diagonales survivrons, cinq homologations pour les année 1945-46 puis, au total, près de 10.000 maintenant. On peut se féliciter de cette vraie bonne idée lancée et développée par Philippe Marre et Le Cycliste. Merci Philippe pour toute la passion et la joie que les Diagonales ont générées.

Publicité d'époque d'un grand constructeur victime de la guerre:

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Cette petite étude a été réalisée grâce au concours du regretté Louis Cointepas (1932*) puis de Pierre Goas (1953*), Alain Schauber (1982*), Jacques Seray (1985*) et son abondante et remarquable documentation, Laurent Jubin (2008*), ainsi qu'à partir d’articles parus dans Le Cycliste, Cyclo-Magazine, La Pédale Touristique, Cyclotourisme et, bien sur Le Petit Diagonaliste. Merci à tous. Si un des lecteurs peut nous apporter des précisions ou rectificatifs sur ce qui précède nous lui en serions reconnaissant. 

* Année de sa première Diagonale

Mise à jour le 20/11/2012
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